Chili : Valparaiso
Valparaiso
Dès le premier coup d'œil j'ai vu les couleurs et le malheur
J'ai deviné la douleur, imaginé le labeur
Dès les premiers pas j'ai senti les odeurs
Celles qui soulèvent le cœur
Pisse et excréments des troupeaux de chiens errants
Déçue ?
Dès le lendemain j'ai pensé que je ne pouvais pas
ne pas aimer Valparaiso
Ruelles et escaliers
Grimper dévaler
entre les maisons serrées les unes contre les autres
les unes sur les autres
Valparaiso est comme un château de cartes,
plusieurs châteaux accrochés tant bien que mal aux flancs des collines
Mais l'édifice est blessé, froissé, déchiré
des pans sont effondrés
les ailes trop vieilles et fragiles n'ont pas résisté au nouveau caprice de la Terre
ce 28 février 2010
Le cimetière est éventré
Des tombes sont tombées emportées avec le mur d'enceinte
en bas du promontoire
Mais qu'attendent ces bateaux endormis dans le port ?
Que Valparaiso tombe dans l'eau ?
Demain matin l'activité reprendra dans le port
Les grosses grues bleu marine promèneront leurs charges au bout de leurs crochets
Les cornes des cargos sonneront le départ
Les sillages réveilleront l'eau qui dort
Non Valpo n'est pas morte, même pas moribonde
La ville a repris son ardeur
Les Porteños sont à l'oeuvre
Dans les rues résonnent les outils
pioches, pelles, scies, marteaux travaillent en cœur
Ici on comble une fissure
Là on soude des barres métalliques
On consolide une façade,
rafistole un escalier, un toit
Un coup de peinture
Camoufler les dégâts pour oublier
jusqu'à la prochaine secousse
Le linge flotte aux fenêtres
Les fleurs s'épanouissent
Un moulin d'enfant tourne au vent de l'océan
Un air de tango ou de salsa s'échappe d'une ouverture aux vitres brisées
Les enfants, grands et petits, en uniforme impeccable
sac au dos sur le chemin de l'école
La camionnette de gaz grimpe dans les ruelles,
la baguette du livreur tinte sur les cylindres d'acier
Le ramasseur de plastique et de bouteilles réclame haut et fort son butin
à chaque habitant
devant chaque porte
Les ascenseurs vertigineux montent et descendent,
se croisent le long des rails aériens fortement inclinées
Les mini bus dévalent les rues,
les camions poussifs tentent de les gravir
Les chiens manifestent sur mon passage
Ceux qui gardent les lieux et ceux qui cherchent un maître.
Les trottoirs sont toujours bien garnis et nauséabonds
Puis soudain dans cette odeur à soulever le cœur
Un parfum de jasmin, et dans les herbes folles des fenouils qui s'expriment
Les murs aussi s'expriment,
en silence, en couleur,
dessins, peintures, pochoirs, tags
les murs racontent, les murs crient, murmurent, sourient
Musée à ciel ouvert
Et dans ce ciel justement se mêlent et s'entremêlent
les fils électriques, les fils de téléphone
Des écheveaux de fils, des pelotes de fils,
Les perruches viennent s'y reposer entre deux vols bruyants
Les hirondelles s'y rassemblent avant le grand voyage vers un été ailleurs
Valparaiso ville folle, le poète l'a dit, lui qui y vécut
"VALPARAISO,
qué disparate eres,
qué loco, puerto loco,"
Je disais donc
Valparaiso ville folle
ville pieuvre qui déploie ses tentacules
sur chaque colline dans la plus grande anarchie.
Dans une débauche de tôles rouillées,
de planches peintes,
de pavés luisants de tant de semelles passées,
d'escaliers aux marches rongées par le temps,
de papiers abandonnés,
de dépôts d'ordures improvisés.
Valparaiso, théâtre ouvert sur l'océan.
Valparaiso embrasse l'océan
Ville qu'on pourrait croire à la dérive mais qui reste bien ancrée
sur cette Terre qui lui joue parfois de si mauvais tours.